Climat, bovins et mathématiques

En termes d’émission de gaz à effet de serre, l’élevage bovin intensif est un problème.
Mais qu’en est-il des élevages extensifs ?

Une vache bio équitable compensée carbone.

Les élevages bio extensifs sur des prairies stockant le carbone sont aussi des lieux propices à la biodiversité. En vouloir la fin serait-il inconscient ? Un hectare de prairie stockant plus de carbone qu’un hectare de cultures de légumineuses.

Oui c’est vrai. Mais…

Dans ce fait exhibé en étendard, la quantité de calories (ou protéines en fonction de ce qui est recherché) produite à l’hectare est à prendre en considération.

Que disent les chiffres ?

Prenons un élevage extensif de 10 vaches pour 10 ha. Un veau de 350 kg à 10 mois (abattage tardif) fournissant 220 kg de viande, cela fait environ 2 200 kg de viande pour 10 veaux tués par an. Une côte de veau c’est 230 kCal et 24 g de protéines pour 100 g. Soit 5 millions de kCal (530 kg de prot.).

(Valeurs hautes.)

1 ha de cette ferme consacré à la culture de soja donnerait 2 000 kg de soja par an sans irrigation. Le soja jaune c’est 430 kCal et 40 g de protéines pour 100 g. Soit ici plus de 8,5 millions de kCal (800 kg de prot.).

(Valeurs basses.)

On aura donc une production alimentaire avec plus de calories, de protéines, d’acides gras de meilleure qualité, de fibres… avec 1 ha de soja qu’avec 10 d’élevage extensif. Une production donc bien plus abondante et saine.

Ça fait combien en équivalent carbone ?

Les prairies fixent jusqu’à 1 tC/ha.an (tonne de carbone par hectare et par an) et peuvent stocker jusqu’à 80 tC/ha.

Pour les zones humides, ces valeurs sont respectivement de 0,3 et 1 400.

Pour les cultures de soja : 0,24 et 50.

Pour les forêts métropolitaines : 1 et 138 en moyenne, mais pour certaines essences d’arbres ou pour des forêts primaires (sans intervention humaine pendant une longue période), ces chiffres peuvent être multipliés : par 8 pour la fixation annuelle et par 2 pour le stockage maximum.

Maintenant, rappelons-nous que dans la version avec le soja, on a utilisé seulement 1 ha. Il en reste donc 9 pour faire une réserve de biodiversité. Disons 4 ha en zone humide, 4 en forêt et 1 en prairie (biodiversité maximale). On voit qu’avec ce choix, le stockage de carbone se fait plus rapidement et en plus grande quantité sur la durée.

Ça fait combien en € ?

En France, les agriculteur·trices ne survivent que grâce aux subventions. Moins il y’a de vaches à l’hectare et plus la part de subvention dans les revenus est grande. Si la viande coûte cher, elle l’est en réalité bien plus encore car elle est déjà en grande partie prépayée par la collectivité.

Les aides de la PAC sont nombreuses et diverses. En nous focalisant uniquement sur les différences entre élevage bio et culture de soja bio, voici ce que l’on constate.

La culture de soja à destination de l’alimentation humaine permettra de toucher uniquement 105 €/ha.an d’aide aux protéines végétales (données 2023).

L’élevage de vaches reproductrices de veaux bio permet de toucher une aide à l’Unité de Gros Bétail (80 €/UGB.an), soit 800 par an € dans notre exemple ; une aide aux veaux élevé sous la mère de 66 € par veau, (660 € dans l’exemple). Et si les prairies sont en montagne ou zone humide, il est possible également d’ajouter l’Indemnité Compensatoire de Handicap Naturel, à partir de 5 UGB, entre 35 et 450 €/ha.an (350 €/an minimum dans l’exemple). D’autres subventions PAC ou des collectivités existent pour l’entretien des clôtures ou pour les bâtiments d’élevage.

Le coût caché de la production de veau est plus de 15 fois supérieur à celui du soja.

L’argent économisé pouvant servir à planter des forêts.

De plus, en local et bio, si le soja reste à un prix abordable, il n’en est pas de même de la viande d’élevages extensifs. Le prix de cette dernière, non transformée et en vente directe dépasse les 15 €/kg quand celui du soja jaune est inférieur à 6 €.

Le coût total (aides comprises) rapporté à la calorie est donc sans appel.

Des aides à la conversion à la production végétale ?

Nous admirons le travail en lien avec l’environnement, le paysage et la biodiversité que font nos camarades en élevage bio extensif.

Mais il n’en reste pas moins que ce modèle agricole semble voué à une consommation élitiste et à une impasse (économique et climatique).

Une conversion de la ferme de notre exemple en culture végétale bio permettrait de nourrir plus de personnes, sur une surface réduite et donc de laisser les terres restantes en réserve de biodiversité stockant bien plus de carbone. Tout ça pour un moindre coût pour la collectivité.

Reste que se convertir de l’élevage à la production végétal n’est pas aisé. Il est compliqué d’accepter que renoncer à l’élevage, ce n’est pas « ne plus travailler avec des animaux », c’est travailler avec, mais autrement. Cela demande aussi formations, accompagnements, modifications du bâti ou du matériel… Tout cela ne peut se faire sans aide financière et humaine. Or, s’il existe bien des aides à la conversion en bio, il n’en existe pas pour la conversion au végétal. Nous avons au contraire vu que ce changement se fait avec une perte conséquente d’aides de la PAC. Ce qui est un non-sens puisqu’une réaffectation des aides à l’élevage pourrait au contraire servir à cette transition pour le bénéfice du climat et de la collectivité. Mais attendre de l’Etat c’est déjà renoncer.

Article paru dans le Monde Libertaire d’octobre 2023. Voir ICI

Sources :
https://centre-valdeloire.chambres-agriculture.fr/climat/strategies-dattenuation/stockage-carbone/
https://www.zones-humides.org/
http://www.lanutrition.fr/
https://hal.science/hal-00320777/
https://www.lafranceagricole.fr/